(D'après un texte de Louis Tricot) : Le 8 juin est traditionnellement jour de foire à Reugny. En cette année 1785, elle se tient comme à l'accoutumée, de l'autre côté de la Brenne, à la Croix du coteau. Bien qu'il soit déjà autour de sept heures du soir, nombre de chalands peuplent encore le champs et nombreux sont les clients attablés aux étals, sous la tente des débitants de vins. Ceux-ci sont de deux sortes : les cabaretiers professionnels et des gens d'autres corporations qui, en cette circonstance exceptionnelle, ont apporté quelques fûts après avoir obtenu préalablement l'autorisation de vente ; il n'est pas même exigé d'être habitant de la paroisse pour être admis à devenir "bistrot occasionnel".
Les commis en second : Antoine Croizet et Louis Renard, de la régie des aides d'Amboise, viennent opérer leurs vérifications. Ils s'occupent précisément de la vente du cabaretier Sorin, aux fins de recouvrer le droit correspondant ; ceci fait, ils passent à la tente de René Gallois, un boisselier de Vernou, qui a mené deux quartiers de vin. Il possède un "congé" régulier du bureau de Vernou du 7 juin. Au moyen d'une baguette à feu introduite par la bonde, l'un des commis constate le débit : les sept huitièmes, ce dont le débitant est d'accord ; la somme à payer se monte à 10 livres 12 sols et 1 denier. Le commerçant demande une quittance, que le commis rédige sur la champ et la tend à Gallois ; celui-ci la prend, mais l'autre ne la lâche pas, exigeant l'argent à l'instant. D'un coup sec, le dit Gallois arrache le feuillet et le met en morceaux. "Cet acte de violence nous met dans le cas de représenter au sieur en parlant à sa personne qu'il était d'ordre que le redevable compte la somme due au percepteur avant que celui-ci en remit la quittance, que sa conduite à ce principe donnait lieu de soupçonner de sa part un dessein de s'emparer de la quittance sans en payer le montant." Gallois, alors, avisant les buveurs, leur crie : "Voyez donc ces bougres de voleurs là ! Ils me prennent pour un coquin ! Ils mériteraient bien qu'on leur foute une volée !"
Les hommes, dont le beau-frère de Gallois et un fagoteur d'Autrèche se lèvent : "Il faut faire comme à Châteaurenault : foutre des coups à ces foutus gueux-là !"
Tous, le débitant compris, armés de gros bâtons et de leviers à usage de charrettes, foncent sur les commis, les frappent, les obligent à reculer et s'emparent de leurs chevaux.
Pour se défendre, et intimider leurs agresseurs, les deux agents du fisc tirent leurs sabres et leurs pistolets (seulement chargés à poudre). L'effet est néfaste. Une dizaine de déchaînés, dont Sorin le cabaretier et un tonnelier de Vernou, assaillent de toutes parts les deux commis. Les spectateurs, alentour, vocifèrent : "Tuez ces bougres là" et lancent des pierres.
Les représentants de la loi plient, abandonnant les droits recouvrés. Renard reçoit à l'estomac un coup de levier, Croizet est touché à la poitrine par un autre levier, reçoit deux coups de bâton sur le bras, son sabre est brisé, l'agent du fisc braque son pistolet en direction de son agresseur, un coup le frape au poignet et l'arme tombe.
Les commis désarmés fuient vers le bourg, mais ils sont rejoints au pont sur la Brenne par la meute hurlante. Quelqu'un saisit Croizet au collet, les bâtons se lèvent sur sa tête. C'en est fait, la mort est certaine.
À ce moment, le hasard amène en ce lieu Vaslin, le chirurgien de Reugny. Il se jette dans la mêlée, protège de son corps l'infortuné Croizet. Il pare les coups, en reçoit. Alors survient Renard, moins assailli qui, sabre au point, se frayant un passage, les dégage. Vaslin reste à parlementer avec les rebelles enfin contenus. Avant de faire retraite, les commis déclarent hautement qu'ils vont dresser procès-verbal pour troubles et voies de fait, "garants et responsables des pertes d'argent et des chevaux".
Durant la confection du procès-verbal au domicile du buraliste, sous huées et injures, le chirurgien Vaslin ramène les chevaux. Incontestablement, l'affaire est grave : elle montre la haine et la colère des "rebelles".
Le rapport des commis est étudié à Amboise le lendemain. Une supplique est adressée au régisseur des aides et droits à Paris ; les coupables sont accusés d'avoir "concerté ce complot odieux", ils méritent le "dernier" supplice. Il faut "punir exemplairement ces voleurs assassins qui ont cru comme étrangers et à la faveur d'une rébellion commettre impunément envers les employés de la régie des vols et des violences". S'ils n'ont pas écrasé Vaslin, c'est parce que les émeutiers ont préjugé "que des attentats contre un citoyen fixent bien plus le regard de la justice que lorsque ces mêmes attentats ne sont exercés que contre des commis". Il faut extirper ce préjugé "par un châtiment sévère". "La multitude toujours portée à combattre le fisc, secoue d'autant plus aisément le joug des aides que partout un faible nombre d'employés lui est opposé". Le peuple est dans la dangereuse opinion que les commis ne doivent point faire usage de leurs armes, en sorte que le simple bâton d'un rebellionnaire est pour lui une arme invincible.
Quatre années plus tard, le cahier de doléances de cette même paroisse portait ces phrases (entres autres) : "La nation est vexée sans cesse par les employés à la perception des droits d'aydes toujours occupés à supposer de la fraude dans les cas même où la bonne foi est dans la plus grande évidence."
"Combien... n'exige-t-on pas de formalités dont la plupart sont ignorées et qui n'ont été imaginées que pour mettre plus d'entraves et rendre les particuliers plus exposés à l'avidité des commis, qui n'acquièrent l'estime et la faveur de leurs commettants que par la multiplicité des persécutions et des injustices ?"
Et enfin : "Plus de la moitié de ces droits qui collectionnent puis forment un objet considérable est absorbée par les frais de perception."
Bulletin de la Société archéologique de Touraine :
- Louis Tricot, L'émeute de 1785 à Reugny, Tome XXXVIII, 1977.
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