lundi 11 janvier 2021

Histoire du clocher de Reugny

    Le 30 novembre 2020 est une date importante pour l'histoire de Reugny, puisque depuis ce jour, et pour la première fois depuis au moins cinq siècles, le village est privé de son clocher. Depuis quand marque-t-il le paysage de la vallée de la Brenne ? Quelles sont les hypothèses quant à son avenir ? Cet article se propose d'esquisser un résumé de son histoire, afin de mieux envisager son futur.

Le clocher de l'église de Reugny et la vallée de la Brenne depuis les vignes qui les surplombent.


À l'abri du clocher : la cloche

Dans un premier temps il convient de rappeler ce qu'est un clocher. Comme son nom l'indique, il abrite les cloches (au moins une), qui, depuis le Moyen Âge, temporisent la vie des habitants. Les cloches appellent les fidèles à l'heure de la messe, mais au cours de l'histoire elles ont également été utilisées pour donner l'heure (jusqu'à ce que tout le monde fut doté d'une montre puis d'un portable), marquer les événements personnels (baptêmes, mariages, enterrements), servir d'alerte (tocsin au début de la guerre), appeler les habitants (comme le 1er mars 1789 pour la rédaction du cahier de doléances marquant les prémices de la Révolution) et fêter les nouvelles réjouissantes (à l'annonce de la fin de la deuxième Guerre Mondiale, les Reugnois font sonner les cloches, au point de faire trembler le clocher, et s'amusent à tirer sur le coq à son sommet pour le faire tourner).


Ancien coq avec ses traces de balles (déposé à la mairie de Reugny).

    L'histoire des cloches de l'église est connue grâce à deux mentions du curé Lhéritier en 1715 et 1718, à l'occasion de la bénédiction de deux nouvelles cloches (1). Le 15 août 1715 il bénit la plus conséquente des deux, nommée Médard par Charles François de la Baume Le Blanc, seigneur de la Vallière (neveu de Louise de la Vallière). Elle est fondue à partir du métal d'une couleuvrine, qui, deux ans plus tôt, avait provoqué un drame lors d'une fête au château de la Vallière, événement lui aussi raconté par le curé Lhéritier : "Le jour de la St Jacques dernier, il arriva un grand malheur au chasteau de la Valière. Le fermier qui s'appelle Pierre Lambert eut une jambe emportée d'un coup de canon pour avoir voulu tirer lesdits canons qui estoient audit chasteau et les avoir trop chargé pour un bouquet qu'on donnait ce jour à Madame la Commissaire Dubois. Le valeureux Vildosmé, autrement Dubois mon persécuteur, y eut une partie du ventre emportée et mourut trente cinq jours après la dite blessure. Despuis ce tems on a vu régner dans la paroisse une paix profonde et on peut dire que dans toute la province il ne s'est pas trouvé une personne qui l'ait regretté." En plus de la couleuvrine, le seigneur de la Vallière offre une somme de 50 livres, ce pourquoi ses armes furent apposées sur la cloche. Il tient à rappeler que, "quoy qu'il en soit, cette cloche appartient de plain droit aux habitans, ce sont les offrandes de tout le public qui les donna toutes les deux en 1410, selon l'écrit qui y estoit lors de leur fonte". Le 31 décembre 1718, tout juste fondue, il bénit une petite cloche nommée Barbe, "comme estoit la précédente qui fut fondue en 1408". À cette cloche de 1408, qui pesait 427 livres, il ajoute un chandelier de cuivre jaune de 14 livres  "servant autrefois à mettre la croix". Cette petite cloche, servant à sonner les heures, est placée au-dessus de la grande porte de l'église. La cloche de 1715 survit à la Révolution, mais, fêlée, elle est de nouveau fondue en 1863. Sa marraine est la propriétaire du château de la Vallière, Alexandrine de Crussol d'Uzès, qui est l'arrière-arrière-petite-fille de Charles-François, parrain de la cloche de 1715.

La cloche de 1863 dans le clocher de l'église de Reugny.


Aux origines du clocher

    Mais le clocher n'est pas simplement un élément utilitaire. Il sert aussi à marquer le territoire, ce qui en fait un symbole de puissance. En effet, la richesse d'une paroisse se perçoit au décor et aux dimensions de son église et à la hauteur de son clocher. Comme le montrent les donations permettant la fonte de la cloche, les trois pouvoirs d'Ancien Régime (le tiers-état, le clergé et la noblesse) s'unissent pour embellir leur église. L'église, élevée et entretenue par la communauté, pour la communauté, depuis que le village existe, est ainsi le premier témoin de l'histoire du village.

    L'histoire des clochers est généralement peu connue, et celui de Reugny ne fait pas exception. Exposés aux pires conditions climatiques du fait de leur emplacement, ils doivent souvent être restaurés. Chaque restauration s'ajoute à la précédente et fait perdre une partie des caractéristiques du clocher plus ancien, ce qui à terme complique la datation du clocher d'origine. À Reugny, le clocher actuel est moins ancien que l'église. Il doit succéder à un clocher en pierre, dont il est possible de déceler des indices au niveau de la chapelle de la Vallière. En effet cette chapelle dispose de murs bien plus épais que le reste de l'église, épaisseur qui n'est pas justifiée puisqu'elle ne surplombe pas un vide et n'a donc pas besoin d'être consolidée (reste la possibilité de murs plus épais simplement pour supporter la poussée de la voûte). Cette épaisseur peut en revanche s'expliquer si on imagine qu'elle sert de base à une tour-clocher. Sa voûte d'ogives, mais aussi la fenêtre en arc brisé disparue lors des travaux de reconstruction du chœur en 1897 (2), permettent de la dater du XIIIe siècle. Elle prenait place au nord du chœur, comme le clocher de l'église de Limeray (XIIe siècle) et de Vouvray (XIIIe siècle).


Reugny, chapelle de la Vallière, vestige du premier clocher de l'église ?

    Il s'agirait du seul clocher en pierre de la vallée de la Brenne (3), témoignant de la richesse de la paroisse au Moyen Âge. Il est à noter que contrairement à la nef du XIIe siècle, qui est en pierre de taille, la chapelle de la Vallière servant de base au clocher est en simples moellons, donc il s'agit d'une construction de qualité inférieure. Il faut en déduire une hauteur limitée et, éventuellement, un effondrement qui expliquerait sa disparition et son remplacement par le clocher actuel. Les cloches de 1408-1410 pourraient-elles avoir été réalisées après cet effondrement, à partir des cloches abîmées dans sa chute, ou bien au contraire datent-elles l'achèvement de ce clocher ?


Les clochers charpentés de Touraine

    Le clocher actuel est un clocher charpenté, couvert d'ardoises, d'une typologie assez commune dans la vallée de la Loire, tout en restant unique car aucun autre n'a les mêmes proportions. Ainsi, à Neuillé-le-Lierre comme à Vernou-sur-Brenne, le clocher s'ancre à la charpente de la nef par une base polygonale, sur laquelle prend place un couvrement ou une flèche plus ou moins haute. Des clochers d'une hauteur comparable se retrouvent dans le nord de la Touraine, à Neuillé-Pont-Pierre, Marray et Neuvy-le-Roi, les forêts de la Gâtine tourangelle pouvant faciliter l'utilisation de bois de dimensions plus importantes.


Clochers des églises de Marray, Neuvy-le-Roi et Reugny.


    
Les documents les plus anciens le représentant sont une coupe et une élévation de l'architecte diocésain Phidias Vestier en 1846 (4). Il est cependant possible de remonter plus loin. En effet, il existait, dans le grand salon du rez-de-chaussée du château de la Vallière, une cheminée sur laquelle on pouvait voir "une représentation de la vallée de la Brenne avec les divers travaux et plaisirs des champs, le bourg, l'église et le château de Reugny sur le versant du nord" (5). Cette peinture est détruite par M. de la Verteville en 1926 et remplacée par son blason en pierre sculptée. Le fait que l'abbé Bosseboeuf, auteur de cette description, ne donne pas de détails sur cette peinture tend à laisser penser qu'il n'y a rien de particulier à y noter (à part le château royal, bien disparu), et donc que l'église n'a pas subi de modifications nécessitant un commentaire de sa part. Cette peinture devait dater de la deuxième moitié du XVIe siècle, par conséquent le clocher est plus ancien.


Coupe et élévation de l'église de Reugny en 1846 (Arch. dép. 37, 2O 194).


    Les clochers charpentés présentant une flèche d'ardoises d'une telle hauteur forment un groupe distinct plus facilement datable que les autres. Les exemples les plus proches de Reugny se trouvent à la collégiale de Montrésor, à la chapelle du château d'Ussé, à l'église de Sainte-Catherine-de-Fierbois, de Neuvy-le-Roi, de Saint-Cyr-sur-Loire ou à celle de Saint-Symphorien de Tours, édifices construits ou très restaurés entre la fin du XVe et le premier tiers du XVIe siècle.


Collégiale de Montrésor et église Saint-Symphorien de Tours.


    Or, à la même époque, l'église de Reugny bénéficie elle aussi de travaux d'agrandissements : un acte notarial du 1er juillet 1532 atteste de la construction récente, par Louis de Lavardin, seigneur de Boissay, d'une chapelle "au costé du cimetière estant vers la ville", actuelle chapelle de la Côte (6). Les architectes de l'agence Pereira, dans leur rapport de janvier 2018, ont noté que la charpente de la nef, compte-tenu de son mode d'assemblage, pourrait être de la première moitié du XVe siècle (avec de nombreux remplois). Ils ont également remarqué que la voûte en bois, encore visible au-dessus de l'actuelle fausse voûte en briques, était comparable à celle de la chapelle de la Côte, et pouvait donc lui être contemporaine. Ainsi, l'église a connu d'importants travaux, en plusieurs phases, entre le début du XVe siècle (ce qui correspond à la date des deux cloches) et le début du XVIe siècle (avant 1532). Le tournant du XVe siècle correspond bien à une période faste pour l'histoire de Reugny, qui voit la venue de Louis XI à deux reprises, en février 1470 et le 11 janvier 1480 (7), et dont les "manants et habitants" parviennent à obtenir de Louis XII, en octobre 1503, l'établissement de deux foires chaque année (le 8 juin, pour la saint Médard, et le 28 septembre, pour la saint Michel) et d'un marché chaque jeudi (8). Les Reugnois auraient-ils souhaité marquer le renouveau de leur ville par l'érection d'un clocher ?

L'église de Reugny, avec à droite les trois pignons de la chapelle de la Côte.


La restauration de 1890 : une torsion imprévue

    Le relevé du clocher en 1846, comme les autres dessins d'architecte le représentant au XIXe siècle, montrent tous un clocher bien droit, sans la moindre trace de torsion. Comment expliquer alors cette particularité qui en a fait sa caractéristique ?


L'intérieur du clocher de Reugny.

    En 1889, l'architecte Cornet réalise d'importants travaux dans l'église et cache la voûte en bois par une voûte en briques recouverte de plâtre. La voûte en bois était traversée par les entraits et poinçons de la charpente de la nef : il les supprime, mais renforce la charpente par des tirants métalliques. L'année suivante il restaure le clocher (peut-être en réutilisant une partie des bois). Très rapidement le clocher va se tordre, comme en attestent les cartes postales du début du XXe siècle. 


L'église de Reugny au tout début du XXe siècle (collection Arch. dép. 37).


    
Cette torsion dut être provoquée par l'utilisation de bois dont le séchage n'était pas suffisant, mêlée à l'instabilité du clocher causée par la suppression des éléments de charpente qui le soutenaient dans la nef. Avec le temps, le clocher a pesé de plus en plus lourd sur la charpente privée de ses entraits et poinçons. Afin d'assurer la sécurité de l'édifice et des personnes, il a été nécessaire de procéder à sa dépose le 30 novembre 2020.


La dépose du clocher le 30 novembre 2020 (photo Mairie de Reugny).


La destruction : et après ?

    L'église de Reugny n'étant pas protégée au titre des Monuments Historiques, il n'y a aucune obligation juridique de reconstruire le clocher. Il n'est pas non plus possible d'obtenir les aides de l'Etat allouées à ces édifices (mais d'autres aides existent, et rien n'empêche la constitution d'un dossier afin de proposer sa protection). Comme pour Notre-Dame, deux questions apparaissent : Faut-il reconstruire et quel état reconstruire (avec ou sans torsion) ?


Proposition humoristique (parmi d'autres) de restitution du clocher, publiée sur le groupe Facebook du village par Yohan Vioux.


    La structure en bois est bien connue par de nombreux plans et relevés, ce qui devrait faciliter les choses. Un autre choix à faire concerne la torsion du clocher : faut-il oui ou non la restituer ? Cette torsion existant depuis 130 ans, il faut considérer qu'elle fait partie de l'histoire de l'église, et par conséquent de l'histoire du village. S'agissant du seul clocher tors de Touraine, il apparaît sur de nombreux sites spécialisés et il est souvent présenté comme une des principales attractions du bourg.

    Mais à Reugny les questions de déontologie de la restauration ne sont pas aussi prégnantes qu'à Notre-Dame. Si les dons affluent pour sauver la cathédrale incendiée, les églises rurales sont souvent oubliées alors qu'elles ne nécessitent pas moins de moyens. Le devis estimatif proposé par l'agence Pereira préconise des travaux sur l'ensemble de l'édifice, pour un montant de 1,7 millions d'euros TTC (hors maîtrise d'œuvre). En effet il serait absurde de reconstruire le clocher sans avoir auparavant réglé tous les problèmes structurels de l'église. La population de Reugny étant d'environ 1700 habitants, la restauration de l'église reviendrait à 1000 € par habitant, somme qui illustre l'impossibilité pour la mairie de s'avancer davantage sur l'avenir de l'église. Il ne reste donc qu'à espérer une généreuse donation résolvant tous ces problèmes...


Sources

  1. Archives départementales d'Indre-et-Loire, registres paroissiaux de Reugny, 1701-1720.

  1. Apparaissant sur un relevé de 1895 (Arch. dép. 37, 5 V 81).

  1. Le cas de Chançay est particulier puisque l'église est installée à la fin du XVIIIe siècle dans l'ancienne grange aux dîmes, la précédente ayant été détruite par un éboulement du coteau, et le clocher est aménagé en 1825 sur les bases d'une tour de l'ancien château seigneurial.

  2. Arch. dép. 37, 2O 194.

  3. Bulletin de la Société Archéologique de Touraine, Tome XIII, Tours, 1903, p. 193.

  4. Alfred Gabeau, « Étude sur le Marquisat de la Vallière et les fiefs qui en dépendent », Bulletin de la Société Archéologique de Touraine, Tome XIII, Tours, 1903, p. 446.

  5. Joseph Vaesen, Lettres de Louis XI, roi de France, Paris (Tome VIII, 1903, p. 112 - Tome XI, 1911, p. 93).

  6. Louis Tricot, Essai sur les origines de Reugny, 1975, p. 24-25.

dimanche 14 janvier 2018

Saint Vincent de Reugny, édition 2018

En ce samedi 13 janvier avait lieu la traditionnelle fête de la Saint Vincent, patron des vignerons, organisée par l'Association des Viticulteurs de Reugny. La bénédiction du vin nouveau était agrémentée de morceaux joués par la chorale Brenn'Note et par l'orchestre de la Société Musicale de Reugny. Le Grand Maître de la Confrérie des Chevaliers de la Chantepleure a ensuite pris la parole pour procéder à l'intronisation des nouveaux chevaliers (dont une seule chevalière), recevant pour mission d'être ambassadeurs du vouvray partout dans le Monde.
Discours de Daniel Allias, Grand Maître de la confrérie.
La bénédiction de cette année eut une constitution toute particulière due à l'impossibilité d'utiliser l'église paroissiale, fermée depuis le 22 septembre 2017 pour raisons de sécurité. C'est donc dans le gymnase intercommunal, symboliquement sacralisé pour l'occasion, qu'elle a pris place. Une semaine avant il avait accueilli les vœux du Maire, la Salle des loisirs commençant à devenir trop étroite pour la population communale.
Une photo de l'église était projetée au-dessus de l'autel.
Tour à tour, l'orchestre et la chorale ont pu égayer l'oreille des participants à la cérémonie, dans un espace dont les qualités acoustiques étaient tout à fait différentes de celles de l'église, mais dont il a bien fallu se contenter faute d'autre choix possible (difficulté que les musiciens ont su surpasser avec talent).
L'orchestre de la Société Musicale de Reugny

La chorale Brenn'Note




































Le tonneau de vin nouveau, après sa bénédiction, est sorti du gymnase afin que commence la seconde partie de la cérémonie.
La seconde partie de la fête de la Saint Vincent est conduite par la Confrérie des Chevaliers de la Chantepleure, qui a fêté ses 80 ans il y a quelques semaines. En effet, la confrérie a vu le jour le 19 décembre 1937, un an après le décret de création de l'AOC Vouvray, et à l'initiative de Charles Vavasseur, alors maire de Vouvray.

Le nom de la confrérie vient du "robinet de bois (canelle) que l’on met au fût pour en tirer le vin. Lorsqu’on tourne la clé, elle grince, elle chante et lorsque le vin coule, elle pleure des larmes de joie ! d’où « chante-pleure », que le vigneron nomme plus couramment «champlure». Ce qui a donné le gentil nom de Chantepleure." (voir le site de la confrérie).

Elle a pour principal objectif de promouvoir les vins de Vouvray, mais, comme le signale Nicolas Raduget dans sa thèse (Les acteurs et les voies de la mise en valeur du patrimoine alimentaire de la Touraine des années 1880 à 1990, soutenue à l'Université François Rabelais de Tours en 2015, p. 269-270) "sa mission ne se limite pas à cela : renom de la gastronomie tourangelle, maintien des traditions locales, idéal de « sentiments d’amitié, entraide, honneur, générosité et désintéressement » figurent également parmi ses objectifs. On perçoit, à la lecture de ces différents buts, que le Vouvray, plus qu’un vin, est l’ambassadeur de la gastronomie départementale. Non content de s’imposer comme un fleuron commercial local, il cherche également à devenir un emblème culturel. Quel personnage plus approprié que Rabelais pour alors devenir le « père spirituel » de la confrérie. Saint-Martin, Saint-Vincent ou encore Noé ne sont pas non plus négligés par les discours du « grand maître »."

Pour témoigner de ces discours, rien ne vaut une vidéo ! Vous trouverez ci-dessous une captation de quelques minutes du discours très pittoresque de Daniel Allias, le pétillant grand maître de la Chantepleure depuis 2002 ("Saint Vincent - Saint Martin, nous sommes donc en adoration devant cette belle paire de saints"), suivi de l'intronisation des nouveaux chevaliers de cette confrérie encore très (trop ?) masculine et du vin d'honneur (on raconte que cette inégalité paritaire est causée par la difficulté à trouver des femmes qui consomment du vin). Le repas, habituellement organisé dans la Salle des loisirs, avait lieu cette année au château de Jallanges.


jeudi 19 janvier 2017

Le Moulin du Pont et les ponts de Reugny

Aux origines du moulin et du pont

Comme nous l'étudierons plus loin, le moulin et le pont actuellement visibles montrent leur état durant leur dernière période d'utilisation. Leur importance majeure dans la vie du village fait qu'ils s'usaient rapidement et qu'ils devaient être les plus fonctionnels possibles. Ils sont également à la merci de la rivière, qui peut les rendre inutilisables en cas de forte crue, tout comme en cas de sécheresse puisque le moulin ne peut tourner sans eau. Ces équipements, à partir du moment où ils sont utilisés, doivent donc être les plus efficaces possibles.
Le moulin et le pont vers 1905, collection des AD37.
Les archives anciennes du château de la Vallière nous apprennent qu'au Moyen-Âge le moulin du Pont est appelé Moulin-Blanchard, car il avait été construit par Denis Blanchard. Ces sources sont les plus anciennes que nous avons, et en l'absence de découvertes archéologiques ce sont les seules sur lesquelles nous pouvons nous baser.

Dans les années 1560, le moulin du Pont est au cœur d'une des nombreuses polémiques entre les seigneurs de la Côte et les nouveaux seigneurs de la Vallière. Marc de la Rue, seigneur de la Côte, prétendait que le moulin avait été construit contre l'intérêt du roi, qu'il avait été exhaussé et que ses chaussées étaient rompues. Par conséquent l'eau refoulée gâtait ses prés et ceux des autres particuliers. Laurent le Blanc, seigneur de la Vallière, soutenait au contraire que le pied du moulin n'avait pas été exhaussé, que les choses avaient toujours été en bonne réparation, et que le moulin subsistait depuis 1395 sans que personne, ni pour le roi, ni pour les autres particuliers, s'en fut plaint. Le seigneur de la Côte abandonna finalement sa contestation, à la condition que M. de la Vallière ne pourrait exhausser le pied de son moulin et qu'il entretiendrait les chaussées en bon état afin que ses prés ne soient pas endommagés.

En 1736 : "Le moulin du pont, encienement apellé Le moulin Blanchard, sittué proche le bourg de Reugny, consistant en maison, une petite grange, ecurie, estable, toit a porc, cour, jardin."

Le pont, cadastre de 1819
De par son emplacement stratégique, le pont de Reugny est un point de contact entre le bourg et l'extérieur. Ainsi, en 1785, c'est sur le pont qu'a lieu un événement annonçant la Révolution : Alors que des commis de la Régie des aides d'Amboise viennent opérer des vérification à la foire de Reugny, ils sont pris à partie par plusieurs forains et sont contraints de fuir vers le bourg. Ils sont rejoints au pont sur la Brenne par la meute hurlante. L'un des commis commence à être passé à tabac. Fort heureusement pour lui, le hasard a fait que Vaslin, le chirurgien de Reugny, arrivait au niveau du pont. Il se jette dans la mêlée, avant que le deuxième commis, moins assailli, se fraye un passage avec son sabre et dégage la foule. Vaslin réussit à parlementer avec les rebelles, puis toute l'assemblée se dirigea vers le domicile du buraliste afin de dresser un procès-verbal, qui fut écrit sous les huées et injures. Pour en savoir plus sur l'émeute de 1785, cliquez ici. Le pont devait être tel qu'il apparaît sur le cadastre de 1819, long de six travées et en bois.


Grâce à une description de 1790, au moment où tous les biens du domaine de la Vallière sont inventoriés, on sait que la halle du moulin était construite en pans de bois et torchis. Accolé à la halle, un bâtiment en moellons et pierre de taille comportait deux chambres à cheminée, dont l'une des deux était complétée d'un four. Une autre pièce servait de cellier. Au nord de cet ensemble, une grange et deux écuries sont dites en pans de bois et torchis à l'exception du pignon de la grange qui est en moellons et pierre de taille. Il y avait également deux abris à porcs au pignon. Tous les bâtiments étaient couverts de tuiles.
Plan des bâtiments joint à la description de 1790, AD37
En 1795 l'agent national signale que le pont franchissant la Brenne "qui coupe le territoire de la commune en deux" menace ruine, "les hommes de pied pourraient éprouver des accidents", à plus forte raison ceux qui mènent chevaux. Un charpentier doit visiter le pont et dresser un devis pour sa réparation, mais la réparation semble s'être limitée à quelques vagues travaux de consolidation car ni la mairie ni le département ne voulaient en payer le prix.

Sur le cadastre de 1819 on peut observer précisément la disposition des bâtiments, mais aussi des zones aquatiques. À cette époque le moulin est à la jonction des deux bras de la Brenne qui contournent l'île au Chat. De nos jours la pointe de l'île est légèrement plus reculée, et la jonction entre le bras ouest de la Brenne (qui alimentait les moulins de Chareau et de la Pierre) et le bras est (qui alimentait les moulins du Petit-Villiers et de la Vallière) a lieu avant le moulin du Pont. C'est au niveau du pont que la Brenne est la plus large. Le choix de construire le pont à cet emplacement plutôt que sur une portion plus étroite de la rivière peut paraître étonnant, mais, le pont étant jumelé avec un passage à gué, la zone devait être moins profonde et donc plus facile à traverser.
Cadastre de 1819, Archives départementales d'Indre-et-Loire
La reconstruction du moulin

Le 30 août 1837, Gasner, le régisseur du domaine, écrit que le moulin du pont "est presque inhabitable" et qu'il faut impérativement réparer les toitures avant l'hiver.

En avril 1838, Fournier, architecte à Tours dit "avoir été à Reugny examiner et reconnaître les réparations à faire au Moulin du Pont, en avoir pris le détail et fait le devis d'après les offres du fermier de payer l'intérêt des dépenses à faire au moulin pour le mettre en état".

Le 3 septembre 1838 la duchesse d'Uzès envoie une demande au roi Louis-Philippe 1er pour obtenir l'autorisation de reconstruire son moulin.

Le 2 octobre 1838, le régisseur écrit que les travaux du moulin du Pont ont commencé huit jours avant. "On ne doit faire que le chemin du moulin, dont la dépense est évaluée à environ 1000 francs." Cette lettre est accompagnée d'une note sur les dépenses des travaux faits depuis le 1er janvier 1838. Parmi les nombreuses restaurations nécessaires sur tout le domaine, on trouve pour le moulin du Pont : "Posé trois étriers pour tenir l'écartement de la grange, refait idem la lucarne et réparé la couverture de ladite grange".

Le 13 décembre 1838 "Les travaux du moulin du Pont qui ont été commencé par ordre de M. Fournier en septembre dernier ne sont pas encore entièrement terminés. Il a été employé dans cette construction pour le chemin et avant-chemin du moulin, la fausse porte et le pignon du moulin, pour 903 francs des pierres de taille, 199 francs de chaux, 330 francs de ciment et environ 700 francs de main d'oeuvre pour maçon, tailleur de pierre, charpentier, couvreur et terrassier, et jusqu'à ce que les travaux sont tout à fait achevés on peut ajouter au moins 100 francs ; ce qui fera la somme totale de 2232 francs."

Le 13 mai 1839 l'architecte Fournier doit se rendre à Reugny suite à la plainte déposée à la préfecture par M. de la Frillière, propriétaire du château de Launay, "contre la construction du pont". En la présence de l'Ingénieur des Ponts et Chaussées, M. de la Frillière retire sa plainte, qui est reconnue "mal fondée".

Un plan conservé aux Archives départementales d'Indre-et-Loire, non daté, est signé Emile Pallu, commissaire expert du 1er arrondissement. On observe un pont composé d'une pile en maçonnerie, comparable au pont actuel qui avait déjà été reconstruit en 1882. Il aurait donc pu s'agir d'un plan de la reconstruction de 1882, mais Emile Pallu est actif dans les années 1840, ce qui colle bien avec la plainte de 1839 à propos de la "construction du pont". Emile Pallu était élève de Jean-Nicolas Huyot à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris. En 1840 il construit l'école du mail à Château-Renault, en 1844 il va terminer les immeubles à arcades de la place Jean Jaurès à Tours, et à partir de 1845 il s'occupe de la construction du couvent des Carmélites rue des Ursulines à Tours. Sa carrière est méconnue, peut-être est-il celui que Fournier appelle "l'ingénieur des Ponts et Chaussées" en 1839, et qui aurait donc réalisé ce plan pour accompagner son procès-verbal reconnaissant comme "mal fondée" la plainte de M. de la Frillière.
Plan du pont de Reugny, Archives départementales d'Indre-et-Loire
Le 15 septembre 1839, le régisseur écrit "Je ne sais plus à quoi penser de M. Fournier, il devait vous écrire dans le courant de mois de mai dernier et vous rendre compte des travaux qui sont inévitables à faire faire dans le courant de l'année, principalement le déversoir au moulin du Pont ; Je ne suppose pas que ce soit négligence de sa part, néanmoins on n'a pas lieu d'être content de lui."

Le 5 novembre 1839, "les travaux du moulin du Pont sont entièrement achevés, le moulin ne laisse rien à désirer ; On peut compter pour le renouvellement du bail qu'il sera loué très avantageusement." Dans cette même lettre, Gasner est fier d'annoncer qu'il a fait 115 francs d'économie sur l'achat de la "pierre dure", qui a été employée pour moitié au déversoir du moulin du Pont, et l'autre moitié à la fausse porte du moulin de Chareau.

Sur un devis des réparations à faire aux bâtiments de la Vallière en 1840, on note pour le moulin du pont qu'il faut prolonger dans la pente le glacis du déversoir "rapport à la force du courant". Il est précisé que douze journées de main d'oeuvre seront nécessaires (donc par exemple quatre ouvriers sur trois jours). En l'absence de documents postérieurs concernant ces travaux, on suppose que le moulin est totalement neuf et que tous les travaux sont terminés.
Le moulin du Pont, AD37
Pendant ce temps là, l'administration fait son travail. Ainsi, les rapports et avis des ingénieurs quant à la reconstruction du moulin sont donnés les 15 juillet et 26 août 1842, l'avis du Préfet est donné le 28 février 1845 et celui du Conseil des Ponts et Chaussées le 26 mars.

Le 21 août 1845, le roi autorise la duchesse d'Uzès, décédée quatre ans plus tôt, à reconstruire le moulin du Pont, qui a été reconstruit six ans plus tôt. L'ordonnance du roi énonce que :
"La hauteur du niveau des eaux dans le bief supérieur du moulin du Pont est et demeure fixée au niveau de la surface supérieure du déversoir actuel ou à 0,158m en contrehaut de la surface supérieure de la marche prise pour repère dans le procès-verbal des lieux et dans le nivellement.
Ce niveau sera toujours maintenu au moyen d'un déversoir de 6m ou de largeur libre, construit sur la rive gauche, à 50m du moulin, et dont le couronnement dérasé exactement au niveau ci dessous prescrit, sera construit en pierre dure ou en charpente sur toute la longueur de ce déversoir et sera, à l'amont, terminé par un plan perreyé.

La largeur libre des vannes de décharge ayant leur seuil au niveau du fond de la rivière sera portée à 2m ou le bord supérieur de ces vannes sera arasé au niveau prescrit pour le déversoir : ces vannes seront d'ailleurs garnies du mécanisme nécessaire pour qu'on puisse les manœuvrer aisément en tout temps.
Dès que les eaux du bief surmonteront le dessus des vannes de décharge dûment arasées au niveau prescrit, la permissionnaire ou son fermier devra lever ces vannes de décharge de manière à ramener les eaux à leur maximum de tension.
En cas de refus ou de négligence de leur part d'exécuter cette manœuvre en temps utile, il sera procédé d'office et à leurs frais par le maire de la commune, et ce indépendamment de toute action civile dont ils seraient passibles pour raison des pertes et dommages résultant de ce refus ou de cette négligence.
Le mécanisme pour manœuvrer les vannes
Il sera placé dans le bief supérieur du moulin à 10m et sur la rivière droite un repère définitif et invariable lequel sera formé d'une borne en pierre dure, taillée en prisme équilatéral de 0,30m de côté, cette pierre sera solidement dans une base en maçonnerie à mortier hydraulique, un des côtés orienté vers le nord.
La partie supérieure de ladite pierre sera soigneusement dérasée au niveau prescrit pour le déversoir et elle sera ceinte d'une barre en fer. Dans cette bande en fer encastrée dans la pierre et arasée à la partie supérieure au niveau fixé pour le déversoir seront gravés profondément ces mots : Niveau des eaux.

La propriétaire du moulin du Pont sera tenue d'entretenir les rives parfaitement étanches. Aucune coupure ne pourra être faite, ni partie des eaux détournée pour l'irrigation qu'en vertu d'une autorisation administrative rendue régulièrement.

La propriétaire de l'usine et son fermier sont responsables de la conservation du repère régulateur du point d'eau.

Les travaux ci dessus prescrits seront exécutés sous la surveillance de l'Ingénieur de l'arrondissement, ils devront être terminés dans le délais de six mois à dater de la notification de la présente ordonnance." 

Une inscription précise que l'ordonnance fut "notifiée administrativement [...] à Madame la Marquise de Rougé, héritière de feu Madame la Duchesse d'Uzès et actuellement propriétaire dudit Moulin du Pont, et remis cette copie au sieur Jean-Nicolas Gasnet son chargé d'affaires demeurant en son château de la Vallière en cette commune", le 8 novembre 1845.

Fonctionnement du moulin



L'eau, élément essentiel pour faire fonctionner un moulin à eau, ne va pas directement de la rivière à la roue. Il faut d'abord que l'eau emprunte un bief, sorte de petit canal, maintenu à un niveau stable par un ou plusieurs déversoirs. Sur la photo ci-contre on voit les vannes qui permettent de niveler les eaux, afin qu'il y ait toujours le niveau adapté à la roue.

L'emplacement de l'axe de la roue
Les mécanismes du moulin (disparus), actionnés par l'axe de la roue
Les sacs de grain à moudre sont hissés au dernier étage, sur la gravure ci-dessus il y a une ouverture dans la toiture pour les faire monter depuis l'extérieur du moulin.


Au moulin du Pont les sacs de blé étaient montés depuis l'intérieur par un système de trappes (qui servait ensuite à faire descendre les sacs de farine). On voit le trou qui permettait de faire passer la corde.

Le blé passe d'abord dans un tarare pour être nettoyé, puis dans le bluteau pour le tamiser et enlever les particules plus petites que le grain.


Au moulin du Pont le blé est mis dans le tarare, d'où il passe à l'étage inférieur à travers de petites ouvertures dans le sol.









Le blé arrive dans une trémie pour passer sous les meules. Il est ensuite envoyé dans la bluterie (à droite) pour séparer les différentes qualités de la farine (bonne à livrer ou à repasser sous les meules).
La bluterie ?
Le grenier, avec les trappes et la bluterie.


Le moulin du Pont compte deux bluteries, sur deux étages différents, ce qui permettait d'optimiser la gestion de la farine.



La grille protégeant le mécanisme de la bluterie, pour qu'il ne soit pas englué sous les poussières et la farine.










Le jeu des briques sur la façade montre en haut à droite une bluterie vue en coupe. Les deux autres motifs sont plus difficilement reconnaissables, peut-être un grain de blé schématique, ou peut-être un motif décoratif sans aucun sens. Clairement visibles depuis la rue, ces motifs, ou au moins le motif de la bluterie, servent de vitrine publicitaire au moulin.
Le moulin n'est pas uniquement constitué de la partie usine, il est couplé d'une ferme elle aussi reconstruite en même temps que lui. Les bâtiments existants sont en effet différents de ceux du cadastre de 1819 et de la description de 1790 où la grange et l'écurie sont dits en pans de bois et torchis, à l'exception du pignon de la grange. S'il y a un seul élément de cette époque, ça ne peut donc être que le pignon de la grange, qui aurait alors été conservé lors de la reconstruction. Enfin, le moulin est doté du confort moderne, puisqu'il a la chance d'avoir un lavoir donnant sur le bief (alors que la lavoir municipal n'est pas encore construit).

Le moulin, avec la sortie du bief qui atterrissait directement dans la Brenne.
Les nouveaux ponts
Le pont de six arches construit en 1863.


En 1863 un pont de six arches est construit par le Conseil Général d'Indre-et-Loire. Il permet de conserver une route praticable lorsque la Brenne est en crue. À cette époque cette route faisait partie des "chemins vicinaux de grande communication" (chemin n°5, de Monnaie à Amboise), qui était, en gros, l'équivalent des actuelles routes départementales. Il était donc important que la route ne soit pas coupée au grès des intempéries.
Photo prise le 15 octobre 2012 lors d'une crue de la Brenne.































Le 22 décembre 1870, deux jours après la bataille de Monnaie, les Prussiens reçoivent l'ordre de se concentrer dans la région de Blois pour faire face à une offensive de la garnison de Paris. Un témoin raconte que "jeudi matin, tout est parti pour Blois et tous ceux qui étaient à Monnaie ont passé par la rue du pont. Pendant au moins 5 à 7 heures durant, cela n'a pas cessé ; on évalue au moins à 25 mille hommes. À la fin tous les pillards [...] ont passé volant toutes les maisons, cherchant dans les meubles, prenant tout ce qui leur convenait...". Pour en savoir plus sur l'invasion prussienne à Reugny, cliquez ici

En 1874 il est noté par le Conseil Général la nécessité de reconstruire en maçonnerie le pont en bois de Reugny sur la Brenne.  
En août 1878, le pont est décrit comme étant "formé de deux travées en bois, de 7m d'ouverture chacune, reposant sur des culées et une pile en maçonnerie. Les poutres du tablier présentent au milieu une flèche de 12 à 15cm. Les bois sont complètement pourris. Dans ces conditions il faudra songer prochainement à remplacer cet ouvrage d'art."

Détail d'une carte postale, AD37
Le pont est reconstruit en 1882 avec des matériaux métalliques, qui vivaient alors leur heure de gloire : toutes proportions gardées, il est construit au même moment que le viaduc de Garabit de Gustave Eiffel. Les piles en pierre sont peut-être conservées du moulin de 1839. À Neuillé en 1874 on avait décidé de reconstruire le pont en pierre. La même chose avait été décidée en 1872 pour les ponts de Cosson à Vernou. Pour la ligne de chemin de fer Tours-Sargé, construite dans les années 1880 donc en même temps que le pont de Reugny, les ponts sont quasiment tous métalliques.
Le Pont du Moulin, AD37. À droite on peut voir la vanne de décharge du bief et l'eau qui en sort.
Le Moulin du Pont, AD37. Ici la photo semble avoir été prise en temps de crue.
Le pont métallique est détruit dans les années 1970 et remplacé par un pont en béton.
Le moulin et le pont en février 2013.
Bibliographie :
Bulletins de la Société archéologique de Touraine :
- Alfred Gabeau, Etude sur le Marquisat de la Vallière et les fiefs qui en dépendent, Tome XIII, 1901-1902.
- Louis Tricot, L'émeute de 1785 à Reugny, Tome XXXVIII, 1977.

Archives :
Archives départementales d'Indre-et-Loire :
- Cadastre napoléonien
- Fonds de Reugny-La-Vallière (65J7 - 65J50 - 65J216 - 65J218).
- Plan du pont de Reugny (II/4.14.1).
- Cartes postales (10Fi194-0007 - 10Fi194-0008 - 10Fi194-0012 - 10Fi194-0059).
- "En Touraine, je me souviens, Reugny", Brochure éditée par le Conseil Général d'Indre-et-Loire en 1996.

Rapports et délibérations du Conseil Général d'Indre-et-Loire :
- 1863, Chemins vicinaux de grande communication.
- 1874, Renseignements particuliers sur les chemins de grande communication et d'intérêt commun.
- Août 1878, Rapport de l'Agent-voyer en chef.
- Août 1881, Budget de report de 1880 à 1881.
- Août 1882, Rapport de l'Agent-voyer en chef.

Mairie de Reugny :
- Documents de Louis Tricot sur la Révolution.

Les gravures sont tirées du Cours d'agriculture de Rozier, publié en 1786.

lundi 28 novembre 2016

L'Armorial d'Hozier, un aperçu de la société en 1700

L'Armorial général de France est né d'un édit de Louis XIV pris en 1696. Il avait pour but de répertorier toutes les personnes et communautés possédant un blason, et de leur appliquer une taxation. Le port du blason était jusqu'à cette date libre, tout le monde pouvait en avoir un, qu'il soit noble ou pas. L'édit de 1696 crée un impôt pour la possession d'un blason, ce afin de réduire la dette de l'Etat. Chaque blason enregistré coûtait 20 livres à son possesseur. Les blasons sont répertoriés dans 35 volumes d'environ 600 pages chacun, sous la direction de Charles René d'Hozier (d'où son autre nom d'Armorial d'Hozier). 
Extrait du volume XXXIII, consacré à la généralité de Tours
Cet armorial présente un intérêt majeur, mais son utilisation n'est pas aisée car il faut savoir précisément ce que l'on cherche. Certains blasons peuvent être trouvés grâce aux sommaires, mais d'autres ne peuvent l'être qu'en consultant intégralement le ou les volumes consacrés à une généralité, page par page. Ceci peut expliquer pourquoi cet outil n'est quasiment jamais utilisé lors de recherches concernant l'histoire d'une localité.

Tout d'abord, je me suis attelé à une lecture survolée des deux volumes consacrés à Tours (soit 1188 pages). À noter que la généralité de Tours comprenait les départements actuels de l'Indre-et-Loire, du Maine-et-Loire, de la Mayenne, de la Sarthe, et le nord de la Vienne. Le premier volume n'a rien livré concernant Reugny ou Neuillé. Le deuxième est plus intéressant, mais il a également fallu piocher dans les volumes de Paris et de la Normandie pour retrouver les acteurs de cette époque.


"Le Prieuré de Neuilly" : Le blason n'est pas attribué à une personne en particulier, mais au prieuré en tant que personne morale. À cette époque, Bonnette et Moreau sont prieurs curés de l'église. Ils s'effacent derrière le blason de leur prieuré. S'il en est le plus souvent ainsi pour les prieurés, il n'en va pas de même pour les églises paroissiales, où la personnalité du curé est plus marquée. À Neuillé, c'est de cette époque que datent les stalles en bois disposées dans le choeur de l'église, où siégeaient les prieurs du prieuré. Dans la nuit du 3 au 4 août 1706, le prieuré est incendié par un habitant mécontent de la saisie de son blé par les prieurs. Après cet incendie les prieurs furent logés dans le bâtiment surplombant la Brenne, quelques mètres derrière l'église.
  

"Pierre Lheritier, Prêtre Curé de la paroisse de Reugny" : Blason pour le moins étonnant, qui laisse présumer de la joie de vivre qui devait se dégager du personnage ! On se souviendra que le curé Lhéritier nous a permis de nous imprégner de l'atmosphère qui régnait au village grâce à sa tendance à prendre le registre paroissial pour un journal intime (pour rappel, relire l'article Les aventures du curé Lhéritier). La réalisation d'un blason étant laissé au libre choix de celui qui le porte, le choix d'un crâne et de larmes ne peut que montrer le caractère très pieux du curé de Reugny. Celui-ci contraste fortement avec la sobriété du blason du prieuré de Neuillé, ou plus généralement avec les autres curés présents, qui ont le plus souvent opté pour une croix ou une Vierge à l'Enfant...

"Françoise de Berziau, femme d'Anne de la Bonninière, chevalier seigneur d'Argouges" : Ce blason est la preuve qu'il faut savoir ce que l'on cherche dans l'Armorial d'Hozier, le nom de la commune n'étant pas précisé dans la description. Les seigneurs des Argouges faisaient partie de la petite noblesse locale, ils doivent acheter cette terre aux seigneurs de la Vallière autour de 1675. Le domaine ressemblait plus à une ferme qu'à un château, c'est sans doute pourquoi les seigneurs de la Vallière leur ont cédé sans crainte d'être éclipsés. Le fait que ce ne soit pas le blason du seigneur qui est représenté mais celui de sa femme est assez surprenant. Peut-être que Mme de Berziau a été chargée par son mari d'aller faire enregistrer ses armories, et qu'elle a choisi de présenter les siennes et non celles de son mari.

"Dreux de Rousselet, Marquis de Château-regnault" : La paroisse de Neuillé-le-Lierre dépendait du marquisat de Château-Renault, dont le seigneur en 1700 était Dreux de Rousselet. Il meurt en 1704 à la bataille navale de Malaga, "la cuisse coupée aussi haut qu'il est possible". Il était sous le commandement de son oncle, François-Louis Rousselet, maréchal de France, dont le fils François-Louis-Ignace est aussi tué lors de cette bataille. Il est fort probable que les marquis de Château-Renault, de par leurs hautes responsabilités dans le royaume, se soient très peu intéressés de ce qu'il se passait sur leur domaine (ils rechignèrent pendant tout le XVIIe et le XVIIIe siècle à réparer le pont sur la Brenne, qui fut finalement reconstruit par les habitants de Neuillé eux-mêmes). 





"Gilles Guichard, Conseiller du Roy, maire perpétuel de la ville d'Amboise" : On note l'absence du blason de la famille d'Amboise, qui étaient alors seigneurs de Bourot, de Neuillé, et du Clos-Lucé. À cette époque Gilles-Antoine d'Amboise était seigneur de Neuillé. Il épouse en 1700 Pauline Guichard, fille du maire perpétuel d'Amboise. Le blason de ce dernier étant bien enregistré, peut-être que Gilles-Antoine préférait utiliser le blason de son beau-père plutôt que de payer l'enregistrement du sien... La famille d'Amboise s'éteint quelques décennies plus tard faute de descendants masculins.


"Gabrielle Glé, comtesse de la Costardays et de Becheret, veuve de Jean-François de la Baume le Blanc, Chevalier marquis de la Vallière, Gouverneur et Lieutenant général pour le roy de la province de Bourbonnais" : Jean-François est le frère de Louise de la Vallière, il se marie à Gabrielle en 1663 et meurt en 1676. Le blason de cette dernière, d'or à cinq rats de gueules, est accolé au blason des seigneurs de la Vallière. Rat se disait "glé", c'est pourquoi la famille Glé porte des rats sur son blason. Le blason est enregistré à Paris, les seigneurs de la Vallière ne faisant que de rapides séjours à Reugny au XVIIIe siècle.
"Jacques du Bois, écuyer seigneur de Launay" : Ce blason est enregistré dans le volume consacré à la généralité de Caen, les Dubois (ou du Bois) venant bien de Normandie. Les plaintes du curé Lhéritier débutent en 1700, et en 1701 Dubois acquiert les droits honorifiques de l'église de Reugny (par provocation ?). Il est bien cité en tant que seigneur de Launay dans l'armorial, mais peut-être n'est-il arrivé en Touraine que quelques années plus tôt. En juillet 1713, le jour de la saint Jacques, un coup de canon tiré en l'honneur de sa femme au château de la Vallière emporte une partie du ventre de son frère François, qui en meurt 35 jours plus tard, pour le plus grand plaisir du curé, qui écrit que "Despuis ce tems on a vu régner dans la paroisse une paix profonde et on peut dire que dans toute la province il ne s'est pas trouvé une personne qui l'ait regretté".




De cet armorial il apparaît que les deux villages sont surtout marqués par l'absence des seigneurs de la Vallière, qui passent le plus clair de leur temps à Paris. La religion occupe une place importante, ce sont le curé et les prieurs qui dirigent leur paroisse, et qui rythment la vie des habitants. Quelques notables tentent de profiter de l'absence des seigneurs du village, mais ils ne peuvent qu'essayer de se rapprocher de ces derniers.

Sources :
Volumes reliés du cabinet des titres : recherches de noblesse, armoriaux, preuves, histoires généalogiques. Armorial général de France, dressé, en vertu de l'édit de 1696, par Charles d'Hozier, 1697-1709 (en ligne sur Gallica) :
- Volume XX, Normandie, Caen, p. 145.
- Volume XXIV, Paris II, p. 1887.
- Volume XXXIV, Tours II, pp. 890, 892, 894, 1145.
Mémoires du marquis de Villette, publiés pour la Société de l'histoire de France par M. Monmerqué, Paris, J. Renouard, 1844.