mardi 16 juillet 2013

Les aventures du curé Lhéritier (1697-1720)

Pierre Lhéritier, curé de Reugny à partir de 1697, semble prendre son registre paroissial pour un journal intime... Pour notre plus grand bonheur ! Ses principales sources de préoccupations sont ses querelles avec les Dubois Delaunay : "Ceux qui viendront après moi auront la bonté de remarquer que depuis mon entrée à la cure de Reugny qui fut en 1697, les nommés Dubois Delauné m'ont toujours fait la guerre, et après avoir cherché ma vie et mœurs n'y peuvent trouver rien de répréhensible, en 1700 ils mendièrent une permission de chasser sur les terres de M. le marquis de la Vallière seigneur de cette paroisse et dans cette occasion ils vendirent plainte contre moi d'impression de faits de chasse et firent le procès dans la dernière des rigueurs, à la maîtrise particulière des Eaux et Forêts d'Amboise où je fus condamné à dix livres d'amende [...] J'ai appelé au Parlement où j'ai gagné par arrêt contradictoire contre le sieur Dubois".
Tableau d'un curé du 18e siècle
 "[Au retour d'un voyage à Paris], les paroissiens vinrent au devant de moi [...] je peux dire que j'y vis toutes les réjouissances et acclamations de joie qu'un petit curé de village comme moi en pouvait attendre de paroissiens et habitants aussi zélés, comme ceux de Reugny me le firent voir dans cette occasion, m'ayant donné auparavant de vives marques de leur tendresse : dans une sorte d'assemblée qui fut faite à la porte de l'Eglise pendant le temps que j'étais à Paris, par laquelle ils contredisent tous unanimement aux faussetés avancées par les Dubois. Cet acte authentique passé par François Cautereau, notaire royal à Reugny le 1er juin 1702 n'a pas laissé de causer un grand chagrin auxdits Dubois avec la perte de leur procès aussi mal justifié..."

Une cinquantaine de pages plus loin dans le registre, on retrouve cet acte : "Aujourd'hui dimanche quatrième jour de juin 1702, par devant nous François Cautereau notaire royal en Touraine, résidant à Reugny, soussigné au devant de la principale porte d'entrée de l'Eglise dudit Reugny". Il est présenté "aux habitants de cette paroisse, assemblés à la manière accoutumée, que les sieurs Dubois, ennemis capitaux dudit sieur curé pour lui faire chagrin et vexation en haine de ce qu'il s'est opposé à l'emplacement d'un banc que les dits sieurs Dubois voulaient mettre dans le choeur de son Eglise, et de ce qu'il n'a pas voulu publier de certains droits honorifiques qu'ils ont acheté 98 livres pour s'attirer dans le pays une certaine autorité de gens de conséquence. Ils ont par des artifices malicieux prévenu Monsieur le marquis de la Vallière de plusieurs faits supposés, entre autres qu'il aurait chassé sur ses terres et sur ce mauvais prétexte on lui a fait un procès de son autorité très injuste qu'ils ont poursuivit dans la dernière des rigueurs ; Le sieur curé étant allé pour rendre ses devoirs à Madame de la Vallière a été très surpris d'apprendre que les sieurs Dubois avaient écrit à Madame la marquise de la Vallière une lettre remplie d'une infinité de faits calomnieux contre l'honneur et réputation dudit sieur curé afin de l'amener davantage contre lui à la poursuite de cet indigne procès. 
Marie-Thérèse de Noailles, Marquise de la Vallière

Ces invectives sont d'autant plus importantes qu'il veut persuader à monsieur et à madame de la Vallière que ledit sieur curé vit très mal, aussi les habitants et qu'il fait des procès à vieux habitants des plus considérables, en un mot que c'est un homme haï de toute la paroisse et qui mène une vie scandaleuse, comme ledit sieur curé a intérêt de justifier sa conduite, non pas par rapport aux sieurs Dubois qui lui sont très indifférents, mais par rapport à monsieur et madame de la Vallière pour lesquels il a une singulière considération, et au public qui a en quelque façon intérêt à sa conduite par l'importance de son caractère. [...] La plus grande partie des habitants, après avoir fait les réflexions nécessaires aux plaintes que les sieurs Dubois ont pu faire à l'encontre  dudit sieur curé à monsieur et à madame de la Vallière, ils ont tous d'une voix unanime et délibérative reconnu qu'ils n'ont aucun sujet de plainte à faire contre ledit sieur curé qui est un homme d'honneur et de probité connue, qui fait parfaitement bien son devoir duquel ils sont tous très contents, n'y ayant jamais eu d'autres plainte contre lui que de la part des sieurs Dubois qui lui font la guerre depuis 6 ans, lesquels n'ayant pu réussir dans la recherche de ses vie et mœurs pour satisfaire à leur animosité et la passion qu'ils ont de le traverser lui ont suscité le procès de la chasse de l'autorité de Monsieur le marquis de la Vallière, lequel sans doute n'a jamais été informé de la vérité des faits que les sieurs Dubois lui ont supposé, ce que tous les comparants attestent véritable bien moins à l'estime qu'ils ont pour lui qu'à la justice qu'ils sont obligés de rendre à son mérite et à sa vertu desquels ils sont très persuadés..."
En marge de son registre de 1708 : "Troisième attaque des Dubois Delauné" : "Cette année au mois de juin l'animosité des Dubois mes ennemis s'est encore manifestée [...] Ils n'ont jamais cherché que ma destruction. Je prie le seigneur qu'il leur pardonne cette perfidie, pour moi j'ai tout mis au pied de la croix et leur pardonne de tout mon cœur..."
Tableau d'un curé du 18e siècle
En 1710 : "Quatrième attaque des Dubois Delauné..."
Une fête donnée au château de la Vallière un soir de juillet 1713 est interrompue par un terrible accident relaté par le curé Lhéritier en ces termes : "Le jour de la St Jacques dernier, il arriva un grand malheur au chasteau de la Valière. Le fermier qui s'appelle Pierre Lambert eut une jambe emportée d'un coup de canon pour avoir voulu tirer lesdits canons qui estoient audit chasteau et les avoir trop chargé pour un bouquet qu'on donnait ce jour à Madame la Commissaire Dubois. Le valeureux Vildosmé, autrement Dubois mon persécuteur, y eut une partie du ventre emportée et mourut trente cinq jours après la dite blessure. Despuis ce tems on a vu régner dans la paroisse une paix profonde et on peut dire que dans toute la province il ne s'est pas trouvé une personne qui l'ait regretté".
Mais il n'en reste pas là et il va jusqu'à clore son registre paroissial de 1713 par cette épitaphe vengeresse :  
"La parque sans pitié vient de trancher la vie
a ce perturbateur plein d'orgueil et d'envie.
Elle n'a épargné ny devant ny derrière,
elle vient de finir sa plus triste carrière.
Qu'a-t-il fait pour son Dieu ce terrible censeur ?
Ha qu'il a tourmenté les oints du Seigneur !
Ci gist Dubois, ha qu'il est bien
pour son repos et pour le mien !"
Tableau d'un abbé du 18e siècle
Mais la mort de Dubois ne signifie par la fin de ses querelles. Dès 1716 il s'est trouvé un nouvel ennemi : "Cette même année, Jacques Guy, vicaire de cette paroisse voulut faire la guerre a son curé, et fit plusieurs [...] lettre insolentes contre son curé, il fut chassé [par les habitants de Reugny]..."
Mais en plus des Dubois et des vicaires qui lui font la guerre, le pauvre curé Lhéritier doit aussi faire face... à des "étourdis" ! En effet, après un acte de baptême de 1718, une dizaine de signatures, prenant une partie de la page, sont barrés par le curé. Il s'explique à côté : "dix signatures de nulle valeur et biffés par nous curé soussigné, attendu que ce sont des étourdis qui ont fait cela par dérision" !
Son dernier acte dans le registre date du 1er décembre 1720.

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