lundi 28 novembre 2016

L'Armorial d'Hozier, un aperçu de la société en 1700

L'Armorial général de France est né d'un édit de Louis XIV pris en 1696. Il avait pour but de répertorier toutes les personnes et communautés possédant un blason, et de leur appliquer une taxation. Le port du blason était jusqu'à cette date libre, tout le monde pouvait en avoir un, qu'il soit noble ou pas. L'édit de 1696 crée un impôt pour la possession d'un blason, ce afin de réduire la dette de l'Etat. Chaque blason enregistré coûtait 20 livres à son possesseur. Les blasons sont répertoriés dans 35 volumes d'environ 600 pages chacun, sous la direction de Charles René d'Hozier (d'où son autre nom d'Armorial d'Hozier). 
Extrait du volume XXXIII, consacré à la généralité de Tours
Cet armorial présente un intérêt majeur, mais son utilisation n'est pas aisée car il faut savoir précisément ce que l'on cherche. Certains blasons peuvent être trouvés grâce aux sommaires, mais d'autres ne peuvent l'être qu'en consultant intégralement le ou les volumes consacrés à une généralité, page par page. Ceci peut expliquer pourquoi cet outil n'est quasiment jamais utilisé lors de recherches concernant l'histoire d'une localité.

Tout d'abord, je me suis attelé à une lecture survolée des deux volumes consacrés à Tours (soit 1188 pages). À noter que la généralité de Tours comprenait les départements actuels de l'Indre-et-Loire, du Maine-et-Loire, de la Mayenne, de la Sarthe, et le nord de la Vienne. Le premier volume n'a rien livré concernant Reugny ou Neuillé. Le deuxième est plus intéressant, mais il a également fallu piocher dans les volumes de Paris et de la Normandie pour retrouver les acteurs de cette époque.


"Le Prieuré de Neuilly" : Le blason n'est pas attribué à une personne en particulier, mais au prieuré en tant que personne morale. À cette époque, Bonnette et Moreau sont prieurs curés de l'église. Ils s'effacent derrière le blason de leur prieuré. S'il en est le plus souvent ainsi pour les prieurés, il n'en va pas de même pour les églises paroissiales, où la personnalité du curé est plus marquée. À Neuillé, c'est de cette époque que datent les stalles en bois disposées dans le choeur de l'église, où siégeaient les prieurs du prieuré. Dans la nuit du 3 au 4 août 1706, le prieuré est incendié par un habitant mécontent de la saisie de son blé par les prieurs. Après cet incendie les prieurs furent logés dans le bâtiment surplombant la Brenne, quelques mètres derrière l'église.
  

"Pierre Lheritier, Prêtre Curé de la paroisse de Reugny" : Blason pour le moins étonnant, qui laisse présumer de la joie de vivre qui devait se dégager du personnage ! On se souviendra que le curé Lhéritier nous a permis de nous imprégner de l'atmosphère qui régnait au village grâce à sa tendance à prendre le registre paroissial pour un journal intime (pour rappel, relire l'article Les aventures du curé Lhéritier). La réalisation d'un blason étant laissé au libre choix de celui qui le porte, le choix d'un crâne et de larmes ne peut que montrer le caractère très pieux du curé de Reugny. Celui-ci contraste fortement avec la sobriété du blason du prieuré de Neuillé, ou plus généralement avec les autres curés présents, qui ont le plus souvent opté pour une croix ou une Vierge à l'Enfant...

"Françoise de Berziau, femme d'Anne de la Bonninière, chevalier seigneur d'Argouges" : Ce blason est la preuve qu'il faut savoir ce que l'on cherche dans l'Armorial d'Hozier, le nom de la commune n'étant pas précisé dans la description. Les seigneurs des Argouges faisaient partie de la petite noblesse locale, ils doivent acheter cette terre aux seigneurs de la Vallière autour de 1675. Le domaine ressemblait plus à une ferme qu'à un château, c'est sans doute pourquoi les seigneurs de la Vallière leur ont cédé sans crainte d'être éclipsés. Le fait que ce ne soit pas le blason du seigneur qui est représenté mais celui de sa femme est assez surprenant. Peut-être que Mme de Berziau a été chargée par son mari d'aller faire enregistrer ses armories, et qu'elle a choisi de présenter les siennes et non celles de son mari.

"Dreux de Rousselet, Marquis de Château-regnault" : La paroisse de Neuillé-le-Lierre dépendait du marquisat de Château-Renault, dont le seigneur en 1700 était Dreux de Rousselet. Il meurt en 1704 à la bataille navale de Malaga, "la cuisse coupée aussi haut qu'il est possible". Il était sous le commandement de son oncle, François-Louis Rousselet, maréchal de France, dont le fils François-Louis-Ignace est aussi tué lors de cette bataille. Il est fort probable que les marquis de Château-Renault, de par leurs hautes responsabilités dans le royaume, se soient très peu intéressés de ce qu'il se passait sur leur domaine (ils rechignèrent pendant tout le XVIIe et le XVIIIe siècle à réparer le pont sur la Brenne, qui fut finalement reconstruit par les habitants de Neuillé eux-mêmes). 





"Gilles Guichard, Conseiller du Roy, maire perpétuel de la ville d'Amboise" : On note l'absence du blason de la famille d'Amboise, qui étaient alors seigneurs de Bourot, de Neuillé, et du Clos-Lucé. À cette époque Gilles-Antoine d'Amboise était seigneur de Neuillé. Il épouse en 1700 Pauline Guichard, fille du maire perpétuel d'Amboise. Le blason de ce dernier étant bien enregistré, peut-être que Gilles-Antoine préférait utiliser le blason de son beau-père plutôt que de payer l'enregistrement du sien... La famille d'Amboise s'éteint quelques décennies plus tard faute de descendants masculins.


"Gabrielle Glé, comtesse de la Costardays et de Becheret, veuve de Jean-François de la Baume le Blanc, Chevalier marquis de la Vallière, Gouverneur et Lieutenant général pour le roy de la province de Bourbonnais" : Jean-François est le frère de Louise de la Vallière, il se marie à Gabrielle en 1663 et meurt en 1676. Le blason de cette dernière, d'or à cinq rats de gueules, est accolé au blason des seigneurs de la Vallière. Rat se disait "glé", c'est pourquoi la famille Glé porte des rats sur son blason. Le blason est enregistré à Paris, les seigneurs de la Vallière ne faisant que de rapides séjours à Reugny au XVIIIe siècle.
"Jacques du Bois, écuyer seigneur de Launay" : Ce blason est enregistré dans le volume consacré à la généralité de Caen, les Dubois (ou du Bois) venant bien de Normandie. Les plaintes du curé Lhéritier débutent en 1700, et en 1701 Dubois acquiert les droits honorifiques de l'église de Reugny (par provocation ?). Il est bien cité en tant que seigneur de Launay dans l'armorial, mais peut-être n'est-il arrivé en Touraine que quelques années plus tôt. En juillet 1713, le jour de la saint Jacques, un coup de canon tiré en l'honneur de sa femme au château de la Vallière emporte une partie du ventre de son frère François, qui en meurt 35 jours plus tard, pour le plus grand plaisir du curé, qui écrit que "Despuis ce tems on a vu régner dans la paroisse une paix profonde et on peut dire que dans toute la province il ne s'est pas trouvé une personne qui l'ait regretté".




De cet armorial il apparaît que les deux villages sont surtout marqués par l'absence des seigneurs de la Vallière, qui passent le plus clair de leur temps à Paris. La religion occupe une place importante, ce sont le curé et les prieurs qui dirigent leur paroisse, et qui rythment la vie des habitants. Quelques notables tentent de profiter de l'absence des seigneurs du village, mais ils ne peuvent qu'essayer de se rapprocher de ces derniers.

Sources :
Volumes reliés du cabinet des titres : recherches de noblesse, armoriaux, preuves, histoires généalogiques. Armorial général de France, dressé, en vertu de l'édit de 1696, par Charles d'Hozier, 1697-1709 (en ligne sur Gallica) :
- Volume XX, Normandie, Caen, p. 145.
- Volume XXIV, Paris II, p. 1887.
- Volume XXXIV, Tours II, pp. 890, 892, 894, 1145.
Mémoires du marquis de Villette, publiés pour la Société de l'histoire de France par M. Monmerqué, Paris, J. Renouard, 1844.