lundi 1 octobre 2012

Un élève de Bretonneau de passage à Reugny

Les Lettres d'un vétéran de l'école de Bretonneau, publiées en 1867, sont un très bon moyen de connaître les méthodes utilisées au XIXe siècle pour soigner les malades. Ces lettres furent, pour la plupart, envoyées au professeur Trousseau par J-F Miquel. Il a soigné plusieurs personnes à Reugny. Je vous invite à lire, c'est parfois... surprenant !
"La fille M... B... vint en 1825 pour soigner sa mère, atteinte de la scarlatine. Celle-ci demeurait au village de la Croix-Blanche, commune de Reugny. Cette fille venait d'une localité distante de quatre lieues, où la scarlatine n'avait point encore paru ; et dès le lendemain, elle était atteinte de fièvre, de mal de gorge, enfin elle avait contracté la maladie de sa mère."
"La femme M..., âgée de cinquante-six ans, demeurant à la Croix-Blanche, commune de Reugny, avait habituellement beaucoup d'embonpoint et le système vasculaire cutané assez développé. Le 9 juin, elle fut prise d'une sévère céphalalgie avec forte fièvre et mal de gorge ; dès le soir même, elle se fit une application de douze sangsues au col ; les piqûres saignèrent abondamment.
Le 10 juin, je la trouve avec la face rouge et animée, les yeux injectés, mais sans maladie des paupières ; son pouls est fréquent et petit, la céphalalgie très vive ; la langue est large, épaisse, blanche ; ses bords portent l'empreinte des dents ; les gencives sont gonflées et couvertes d'une exsudation albumineuse ; les tonsilles sont aussi un peu gonflées et couvertes de mucus ; elles sont peu douloureuses ; la soif est vive ; les envies de vomir sont continuelles ; la peau qui est sèche, rouge et brûlante, n'offre pas encore de papules apparentes ; cette malade se plaint de douleurs insupportables dans les membres et dans les épaules ; elle se plaint aussi d'une sensation de chaleur générale qui la tourmente beaucoup ; elle est allée à la selle sans dévoiement ; l'urine est rare, sans être plus colorée, et ne dépose pas ; il n'y a point de troubles pulmonaires.
Traitement. - Diète ; eau de gomme ; un peu de petit lait coupé, désiré par la malade ; gargarisme astringent.
Le lendemain 11 juin, la peau est d'un rouge brun ; elle est très brûlante ; l'éruption est des plus confluentes : agitation continuelle, plaintes, vomissements souvent répétés, impossibilité de supporter les boissons ; la soif est des plus vives : du reste, même état que la veille.
Traitement. - Boissons légèrement aromatiques ; on applique sur tout le corps des compresses trempées dans un mélange de deux livres d'eau et de deux onces d'extrait de Saturne : cette application est souvent répétée.
Le 12 juin, la malade est tranquille ; elle ne vomit plus, est modérément altérée ; elle se croit dans un autre monde ; son pouls est souple, quoique fréquent ; l'affectation de la bouche n'a pas augmenté. Il ne reste plus à la peau que des papules très distinctes ; mais cette peau n'est plus rouge : au contraire, elle a une teinte bleue qui disparaît sous le doigt ; elle n'est pas brûlante.
Traitement. - Je fais continuer les mêmes moyens ; la malade les demande avec instance, disant que chaque fois que son mari a négligé de renouveler les compresses, elle a éprouvé une cuisson semblable à celle d'une brûlure, et qu'elle se sentait retomber comme dans la journée.
Le 13, je la trouve levée, assise à sa porte et exposée au soleil. Cette imprudence, jointe à la cessation trop prompte des fomentations, firent qu'elle éprouva le soir une partie des accidents du 10 juin ; mais elle fit aussitôt de nouvelles fomentations, entra très promptement en convalescence : peu de jours lui suffirent pour reprendre ses occupations pénibles ; la desquamation fut lente et sans accidents."
"Louis L.. de Reugny, 19 ans, blond, peau vasculaire, taille moyenne, mais de large stature, depuis un mois était valétudinaire par suite d'une irritation gastro-intestinale. Le 11 juin 1825, après avoir dîné copieusement, il fut pris, vers trois heures, d'une forte fièvre avec mal de gorge : ces accidents s'accrurent jusqu'à ma visite du lendemain 14 juin, à huit heures du soir. À ce moment, il était dans une agitation presque continuelle, et se croyait, disait-il, dans un four assez chaud pour cuire du pain. Il avait la peau sèche, d'une rouge brun et complètement couverte d'une quantité infinie de papules miliaires, qui lui causaient une démangeaison excessive. La soif était inextinguible : j'ôtai de ses côtés un plat plein de rôtie au vin blanc, dont il avait bu une quantité considérable, si j'en juge par le liquide qu'il but depuis ce moment jusqu'au lendemain, la soif ayant été la même ; le pouls était petit, serré, excessivement irrégulier et très fréquent, la langue large, blanche, épaisse et très parsemée de petits points rouge, l'intellect sain mais obtus. Il sortait par le nez une quantité considérable d'un ichor fétide ; les tonsilles étaient peu gonflées, rouges ; la déglutition n'était pas très pénible ; il n'y avait point de vomissements, ni de diarrhée ; le ventre était souple, l'urine peu abondante, souple, sans sédiment.
Prescription. - Eau de gomme et eau pannée, dont il boit au moins quatre litres en douze heures ; conseil de rafraîchir l'appartement qui était une véritable étuve où l'air ne pouvait se renouveler. Le malade devait être couvert de compresses d'eau de Saturne, fréquemment renouvelée, à peine tiède : aucune de ces précautions ne fut observée. L'air de cette étuve ne fut même pas renouvelé ; deux seules compresses imbibées furent mises sur le ventre et les cuisses ; la mère, seule garde qui vaquait aux soins de la ferme, fut d'une incurie inconcevable ; ces deux seuls linges ne furent ni maintenus, ni renouvelés.
Le lendemain matin à 8 heures 1/2, je trouvais tous les signes précurseurs de la mort : sens obtus, état soporeux, yeux ternes, chassieux, respiration haute, pouls incapable d'être compté, tant les battements étaient fréquents et irréguliers : même état de la peau, quoique les papules fussent plus saillantes. Je n'ai jamais observé une plus grande confluence, ni éprouvé une sensation de chaleur à la main plus forte en touchant un malade ; point d'autres changements notables. Je couvris moi-même L... de compresses. Il sortit de sa torpeur pour témoigner combien il était soulagé, ajoutant que les linges se réchauffaient beaucoup trop vite. Je recommandai vainement de proportionner les soins au danger et de renouveler souvent les linges. Qu'on juge si cela fut fait : il ne fut pas dépensé deux litres d'eau blanche en dix heures.
À six heures du soir, j'appris que c'était moi qui, en le mouillant, lui avais arraché la dernière plainte. La respiration était stertoreuse, les yeux fixes, les pupilles contractées, la face vultueuse, les extrémités pâles ; la rougeur allait décroissant du corps aux extrémités. Il y avait eu encore une quantité considérable de boisson donnée : le pouls était moins serré, plein. Je titillai la luette et déterminai un vomissement considérable. - Potion éthérée, saignée ; trois heures après, le malheureux avait cessé de vivre."
"Le premier cas fut celui d'un nommé G..., taillandier à Reugny, âgé de cinquante-huit à soixante ans ; ce malade souffrait depuis longtemps d'une sciatique chronique. Les premiers accès se caractérisent par une grande aggravation de sa douleur ; il avait donc une véritable sciatique intermittente double tierce. On lui conseilla un purgatif énergique. Dès ce moment, sa sciatique intermittente fut remplacée par une hémorrhagie intestinale, également intermittente et, quand je fus appelé, il y avait déjà quelques heures que le troisième grand accès avait cessé. J'eus à constater seulement la quantité de sang qui avait été rendu. Je me hâtai d'administrer du quinquina, tout en témoignant la crainte que son administration fût trop tardive. Cette révélation ne fût pas inutile pour mon crédit naissant ; car, à l'heure indiquée pour l'accès suivant, G... mourut comme frappé par la foudre en évacuant du sang et de la lavure de chair."

Sources : 
- J.-F. Miquel, Lettres d'un vétéran de l'école de Bretonneau, Tours, Imprimerie Nouvelle, 1867.

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